Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

vendredi 22 août 2014

Entretien avec Sergei Glaziev, conseiller du président Vladimir Poutine


Pour un espace euro-asiatique de Lisbonne à Vladivostok…




Le monde aujourd’hui vit une série de crises cycliques qui se superposent.

La plus sérieuse est la crise technologique qui se combine avec des changements dans le domaine du développement économique. On est à une période où l’économie change de structure. La structure économique qui a produit la croissance économique de ces 30 dernières années s’est épuisée. Nous devons passer à un nouveau système technologique. Ce type de transition s’est malheureusement toujours fait par la guerre. Ça a été le cas dans les années 30 où la Grande Dépression a provoqué une course aux armements et conduit à la Seconde Guerre mondiale.

Cela a été le cas pendant la Guerre froide où la course aux armements spatiaux a engendré les technologies d’information et de communication complexes, qui servent de base à la structure de l’économie mondiale depuis 30 ans. Aujourd’hui nous sommes confrontés à une crise similaire : le monde évolue vers un nouveau système technologique. Le nouveau système est de nature humanitaire et on pourra peut-être éviter la guerre parce que les principaux facteurs de croissance dans ce domaine sont les technologies humanitaires. Elles incluent la santé et les industries pharmaceutiques basées sur les biotechnologies. Elles incluent aussi les technologies de la communication basées sur les nanotechnologies qui font actuellement une percée spectaculaire et elles incluent les technologies cognitives qui modifient la quantité des connaissances accessibles.

Si, comme le président Vladimir Poutine l’a constamment suggéré, nous mettions en place un programme de développement mutuel, une zone de développement général avec un régime commercial préférentiel de Lisbonne à Vladivostok, si nous nous entendions avec Bruxelles pour créer un espace économique commun, un espace commun de développement, nous pourrions développer un nombre suffisant de projets d’avenir, de la santé à la défense spatiale, qui permettraient de réaliser notre potentiel scientifique et technique et de générer une demande régulière de l’État, demande qui stimulerait le nouveau système technologique.

Mais les Américains font comme d’habitude : pour maintenir leur hégémonie sur la planète ils provoquent une autre guerre en Europe ; une guerre en Europe est toujours bonne pour les Américains. Ils ont même qualifié de bonne guerre la Seconde Guerre mondiale qui a fait 50 millions de morts en Europe et en Russie. Elle a été bonne pour les Américains parce qu’elle en a fait les maîtres du monde. La guerre froide qui s’est soldée par l’effondrement de L’Union soviétique a aussi été bonne pour eux. Aujourd’hui les États-Unis veulent maintenir leur hégémonie à nouveau aux dépens de l’Europe. Leur domination est menacée par la croissance rapide de la Chine. Le monde d’aujourd’hui commence un nouveau cycle, cette fois politique ; ce cycle dure des siècles et se combine avec des changements dans les institutions mondiales de régulation économique. Nous sommes en train de passer du cycle américain d’accumulation capitaliste à un cycle asiatique, ce qui est un nouveau défi à l’hégémonie américaine. Pour pallier la menace que fait courir à leur hégémonie la montée de la Chine et d’autres pays asiatiques, les Américains provoquent une guerre en Europe. Ils veulent affaiblir l’Europe, briser la Russie et soumettre tout le continent eurasien. Pour résumer : au lieu de la zone de développement de Lisbonne à Vladivostok qu’offre le président Vladimir Poutine, les États-Unis veulent déclencher une guerre chaotique dans toute l’Europe, déprécier le capital européen, effacer toutes les dettes qui écrasent les États-Unis, effacer leurs dettes envers la Russie et l’Europe, soumettre leur espace économique et prendre le contrôle des ressources du gigantesque territoire eurasien. Ils pensent qu’ils n’ont pas d’autre moyen de maintenir leur hégémonie mondiale et de supplanter la Chine.

Hélas pour eux, cette stratégie a un siècle de retard ! Elle date de l’époque de l’Empire britannique où la géopolitique se résumait à « diviser pour régner », c’est-à-dire monter les pays les uns contre les autres, générer des conflits et provoquer une guerre mondiale. Les Américains malheureusement croient que ces vieilles méthodes vont résoudre leurs problèmes. La Russie est la dernière victime de cette politique et l’arme choisie contre elle est l’Ukraine dont le peuple sert de chair à canon dans cette nouvelle guerre. À vrai dire les Américains n’ont jamais cessé d’essayer de séparer l’Ukraine de la Russie. Cette stratégie remonte à l’époque de Bismarck. C’est une tradition européenne anti-russe de vouloir séparer l’Ukraine de la Russie, de les impliquer dans un conflit pour prendre le contrôle de tout l’espace eurasien. C’est Bismarck qui en a eu l’idée, elle a été reprise par les Anglais et finalement par le grand politologue étasunien : Zbigniew Bzrezinski qui a souvent dit que la Russie ne pouvait pas être une superpuissance sans l’Ukraine et que semer la discorde entre la Russie et l’Ukraine profiterait à l’Amérique et à l’Occident. Depuis 20 ans les États-Unis nourrissent le nazisme ukrainien pour porter tort à la Russie. Comme vous le savez, ils ont recueilli ce qui restait des troupes de Bandera après la Seconde Guerre mondiale. Ils ont emmené en Amérique des dizaines de milliers de nazis ukrainiens et en ont pris grand soin pendant toute la période qui a suivi la guerre. Ces nazis ukrainiens sont revenus en masse en Ukraine après l’effondrement de l’Union soviétique ; leur but est toujours le même : séparer l’Ukraine de la Russie.

La proposition de partenariat oriental a servi d’appât. Elle est venue des Polonais puis les Américains l’ont reprise. Le but de ce partenariat oriental, dont la Géorgie a été la première victime, l’Ukraine est la victime actuelle et la Moldavie la prochaine, est de couper les liens de ces pays avec la Russie.

Comme vous le savez, nous construisons l’Union douanière et un espace économique commun avec la Biélorussie et le Kazakhstan, que le Kirghizstan et l’Arménie vont bientôt rejoindre. L’Ukraine a toujours été notre partenaire. L’Ukraine est toujours dans le processus de ratification de cet accord avec la Russie et personne en Ukraine ne l’a encore annulé. L’Ukraine est importante pour nous car elle fait partie de notre espace économique depuis des siècles. Notre complexe scientifique et industriel a été conçu comme un tout ; par conséquent la participation de l’Ukraine à l’intégration eurasienne est aussi naturelle que vitale. Le partenariat oriental a été inventé pour empêcher l’Ukraine de participer au projet d’intégration eurasienne. Le but du partenariat oriental est de faire signer à l’Ukraine un accord d’association avec l’Union européenne.

En quoi consiste cet accord que Porochenko a signé avec les dirigeants européens ?

Cela fait de l’Ukraine une colonie ! En signant cet accord, l’Ukraine perd sa souveraineté ! Elle transfère le contrôle de son commerce, de ses douanes, de sa régulation technique et financière et de ses marchés publics à Bruxelles. L’Ukraine cesse d’être un État souverain économiquement et politiquement. Il est clairement stipulé dans l’accord d’association que l’Ukraine est un partenaire de second rang de l’Union européenne. L’Ukraine doit suivre la politique de défense et la politique étrangère de l’Union européenne. L’Ukraine est obligée de participer à la résolution de conflits régionaux sous l’égide de l’Union européenne. Porochenko fait de l’Ukraine une colonie de l’Union européenne et conduit l’Ukraine dans une guerre contre la Russie, guerre dans laquelle son peuple sert de chair à canon, dans le but ultime de mettre l’Europe à feu et à sang.

Grâce à l’accord d’association, l’Union européenne pourra imposer sa volonté à l’Ukraine dans le règlement des conflits régionaux : ce qui se passe dans le Donbass est un conflit régional armé !

Le but des États-Unis est d’y faire autant de victimes que possible. La junte des nazis ukrainiens n’est que leur instrument. Ils commettent des atrocités et des crimes épouvantables, bombardent des villes, tuent des civils, des femmes et des enfants et les forcent à s’enfuir dans le seul but de provoquer la Russie et d’attirer toute l’Europe dans la guerre. C’est la mission de Porochenko. C’est la raison pour laquelle Porochenko rejette toutes les propositions de négociation et bloque tous les traités de paix. Il interprète toutes les propositions de Washington sur la désescalade comme un ordre d’escalade. Tous les pourparlers de paix au plan international se sont soldés par un nouveau cycle de violence.

Il faut savoir que nous avons affaire à un État nazi qui a décidé d’entrer en guerre avec la Russie et a déclaré une mobilisation générale. Toute la population mâle de 18 à 55 ans est sous les drapeaux. Ceux qui refusent de se battre écoperont de 15 ans de prison. Ce régime nazi transforme toute la population ukrainienne en criminels.

Nous avons calculé que l’Union européenne allait perdre mille milliards d’euros à cause des sanctions imposées à la Russie par les Américains. C’est énorme. Les Européens commencent déjà à sentir les pertes. Il y a déjà une baisse des ventes de marchandises à la Russie. L’Allemagne perd environ 200 milliards d’euros. Nos amis des Pays baltes, les plus fanatiques adeptes des sanctions vont subir les plus grosses pertes. L’Estonie va perdre plus que son PIB total et la Lettonie environ la moitié de son PIB, mais cela ne les arrête pas. Les politiciens européens suivent les Américains sans se poser de questions. Ils font du tort à leurs propres pays en soutenant le nazisme et la guerre.

J’ai déjà dit que la Russie et l’Ukraine sont les victimes d’une guerre qui est fomentée par les Américains ; mais l’Europe est aussi une victime parce que la guerre a pour but de déstabiliser l’Europe et de détruire son niveau de vie. Les Américains espèrent continuer à ponctionner le capital et les cerveaux européens, c’est pourquoi ils veulent enflammer toute l’Europe. Il est donc très étrange que les leaders Européens suivent les États-Unis.

Parlons maintenant des pressions de l’Otan et de la vieille Europe. Les États-Unis exercent de fortes pressions sur les pays de l’Otan. La banque française a souffert. La Russie espère-t-elle que l’Europe Occidentale va résister à la pression et mener une politique indépendante ?

Il ne faut pas se contenter de l’espérer, nous devons travailler avec les dirigeants européens de la nouvelle génération qui ne sont pas soumis aux diktats états-uniens. Le fait est qu’une élite politique anti-soviétique s’est constituée pendant les années de guerre froide qui ont suivi la guerre en Europe. Elle est ensuite devenue anti-russe. En dépit de l’accroissement exponentiel des liens et des intérêts économiques mutuels entre l’Europe et la Russie, cette russo-phobie issue de l’anti-soviétisme continue à polluer l’esprit de nombreux politiciens européens. Il faudrait qu’une nouvelle génération de politiciens européens pragmatiques et plus conscients des intérêts de leurs pays arrive au pouvoir.

Ce que nous voyons aujourd’hui, ce sont des politiciens qui prennent des décisions contraires à leurs intérêts nationaux. C’est largement dû au fait que l’Allemagne qui est le moteur de la croissance européenne est encore un pays occupé. L’armée états-unienne est toujours stationnée en Allemagne et tous les chanceliers allemands font allégeance aux Américains et promettent de suivre leur politique.

Cette génération de politiciens européens n’a pas réussi à se libérer du joug de l’occupation états-unienne. Bien que l’Union soviétique n’existe plus, ils continuent d’obéir servilement à Washington qui se sert de l’Otan pour mettre toujours plus de territoires sous son contrôle.

Bien que l’Union Européenne soit déjà « allergique » aux nouveaux pays membres de l’Est de l’Europe et qu’elle soit au bord de l’implosion, cela ne l’empêche pas de continuer son expansion agressive dans le territoire post-soviétique. Il faut espérer que la nouvelle génération sera plus pragmatique. Les dernières élections du Parlement Européen ont montré que tous les citoyens européens ne sont pas dupes de la cynique propagande pro-américaine et anti-russe, ni du flot continu de mensonges qui sont déversés sur la tête des malheureux européens.

Les partis traditionnels européens ont perdu les dernières élections européennes. Il faut dire la vérité encore et encore pour faire bouger les lignes, parce que ce qui se passe en Ukraine c’est la renaissance du nazisme. La seconde guerre mondiale a appris à l’Europe à reconnaitre les signes de la renaissance du nazisme. Il faut raviver cette mémoire historique pour que les Européens se rendent compte que les nazis ukrainiens qui sont au pouvoir à Kiev, sont les successeurs de Bandera, de Shukevych et d’autres collaborateurs nazis. L’idéologie des autorités ukrainiennes actuelles s’enracine dans l’idéologie des complices de Hitler qui ont des Juifs à Babi Yar, brûlé des Ukrainiens et des Biélorusses à Khatyn, et assassiné tout le monde sans distinction de race.

Ce nazisme renaît aujourd’hui. Les Européens doivent comprendre que leur vie est en jeu dans cette terrible confrontation. J’espère qu’à force de dire la vérité avec constance et de la diffuser le plus largement possible, nous parviendrons à éloigner la menace de guerre sur l’Europe.

Le plus important est de nous libérer des dépendances qui nous emprisonnent. Malheureusement le système financier russe est aujourd’hui très dépendant du capital étranger, pas étranger sur le fond, mais dans la forme. Comme notre économie est ouverte, nous nous sommes reposés au départ sur des capitaux étrangers et nos investisseurs ont fini par partir à l’étranger.

Nous avons pratiquement 100 milliards de dollars de perte d’impôts par an à cause des paradis fiscaux. Seulement une petite partie de l’argent qui sort de Russie prétendument pour s’investir à l’étranger revient dans le pays. Nous devons créer notre propre système financier et monétaire pour pouvoir nous reposer sur nos propres forces et disposer des ressources nécessaires à la croissance de notre économie.

Nous devons interrompre la fuite des capitaux et renforcer le contrôle bancaire et monétaire pour mettre fin aux dommages causés à l’économie par les paradis fiscaux.

Nous devons restaurer nos capacités de planning stratégique et de projection sur le long terme et surtout promouvoir un nouveau système technologique. Il faut prendre des mesures spécifiques pour stimuler l’innovation et les investissements dans la nouvelle structure économique. Le plus important est de créer le mécanisme financier de croissance économique dont j’ai parlé plus haut.

Nos hommes d’affaires pourraient lever des emprunts à long terme à des taux abordables en utilisant nos ressources nationales au lieu d’aller chercher de l’argent à l’étranger en hypothéquant leurs biens. Les banques étrangères révisent les conditions des prêts et à chaque étape de la crise la menace de confiscation des avoirs russes par des créditeurs étrangers augmente.

Afin d’éviter cela, nous devons bâtir une politique monétaire macro-économique souveraine.

Sergeï Glaziev

Traduction de Dominique Muselet, rédaction de Caroline Porteu pour vineyardsaker.fr

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