Qui ne risque rien n'est rien… sur le chemin de Damas, alors que les opinions ont cédé face aux faits…
on ne le dit assez : un âge n'en chasse pas un autre, tous les âges qu'on a vécu coexistent à l’intérieur de soi, ils s'empilent, et l'un prend le dessus au hasard des circonstances.

lundi 2 avril 2012

Jean-Jacques Susini : l'ultime espoir de l'OAS restait la négociation directe avec le FLN



« On ne peut pas résoudre un problème avec le même mode de pensée que celui qui l’a généré »
Albert Einstein

Né à Alger en 1933, Jean-Jacques Susini préside en 1959, l'Association générale des étudiants d'Algérie. Interné à la prison de la Santé à l'issue de la semaine des Barricades, il s'enfuit en Espagne, où il crée, à Madrid en février 1961, avec le général Raoul Salan, Pierre Lagaillarde et Joseph Ortiz, l'Organisation de l'Armée secrète (OAS). Condamné deux fois à mort par contumace par la cour de sûreté de l'État, il ne sera amnistié qu'en 1968. Aussi de 1962 à 1968, il devra vivre sous une fausse identité en Italie.



Alors que paraît sous la signature de Bertrand Le Gendre, ex-journaliste au Monde, « Entretiens avec Jean-Jacques Susini : confessions du n°2 de l'OAS », ouvrage face auquel Jean-Jacques Susini a tenu à se démarquer sans ambigüité, exigeant une insertion par laquelle il s'insurge : « les raisons de la naissance de l'OAS sont vues à travers un prisme déformant… L'intelligentsia de gauche n'a toujours pas compris le sens du combat de l'OAS. Je me refuse à en être le complice ». Aussi, il me paraît bienvenu de reproduire sur ce blog un entretien accordé par Jean-Jacques Susini au Point en mai 2008, propos recueillis par François Malye a priori intellectuellement moins malhonnête que tout journaliste du Monde…

Quand l'OAS négociait avec le FLN

Le Point : Pourquoi cette tentative de négociation, et surtout si tard, puisque les accords d'Évian sont signés et que l'exode des Européens d'Algérie est devenu inexorable ?

Jean-Jacques Susini : Fin avril 1962, l'OAS avait perdu la partie. Nous n'avions plus aucune possibilité de remplir nos objectifs. Pour moi, il n'y avait plus qu'une solution, tenter la carte de la négociation avec le FLN. J'en parle à divers contacts et j'apprends qu'Abderrahmane Farès cherche à me voir. Lui aussi était à la recherche d'un accord. DeGaulle venait de le libérer de prison et il était devenu président de l'Exécutif provisoire algérien. C'était un intellectuel moralement français et qui, s'il avait une vision imposée de l'Algérie, désirait en même temps la prospérité et le calme. Rendez-vous a été pris et une voiture est passée me chercher. Des fellaghas armés de mitraillettes, impassibles, corrects, polis. J'étais sans arme. La rencontre se fait à l'Alma, dans une ferme, à trente kilomètres d'Alger. Je n'avais jamais vu Farès. Quand il est arrivé, nous nous sommes serré la main puis nous avons parlé des différentes revendications européennes. Nous sommes tombés d'accord sur tout ou presque, et à la fin nous nous sommes même embrassés. Le 1er juin 1962, nous avons décidé de part et d'autre une trêve des attentats.

Pourquoi cet accord n'a-t-il pas été suivi d'effets ?

À cause des dissensions au sein de l'OAS comme du FLN. Je savais quel était l'état des luttes au sein du FLN. D'un côté des hommes comme Farès, de l'autre les officiers de l'ALN, les anciens militaires qui avaient servi dans les rangs de l'armée française durant la Seconde Guerre mondiale, comme Ben Bella. C'était le camp des intransigeants. Nous en avons parlé avec Farès. Il m'a dit : « Ben Bella ? On va s'en débarrasser. » Nous nous sommes quittés et je suis rentré rendre compte à l'état-major de l'organisation.

Que s'est-il passé ?

Certains membres étaient d'accord mais l'un d'entre nous, le colonel Godard, est entré dans une colère folle. Il voulait qu'on continue le combat jusqu'au bout, qu'on prenne le maquis et qu'on continue le terrorisme. Je suis sorti, accablé devant un tel manque de réalisme. Plusieurs autres réunions ont encore eu lieu avec les nationalistes algériens, mais Farès a été remplacé par le docteur Chawki Mostefaï, le représentant officiel du FLN à Alger, un homme plus froid, plus politique. Le 15 juin, je le rencontre et nous tombons finalement d'accord sur une déclaration radio-télévisée que Mostefaï fait deux jours plus tard. L'OAS y est mentionnée et reconnue comme porte-parole des Européens, incités à ne pas désespérer. Nous avons également, par le biais de nos émissions pirates, fait une déclaration dans laquelle nous nous félicitions de l'accord et donnions l'ordre de suspendre les combats et les destructions.

Quelle aurait été cette nouvelle Algérie ?

Nous reconnaissions le droit de l'Algérie à son indépendance et nous voulions une démocratie offrant des garanties à la minorité des Européens et à ceux des musulmans qui avaient combattu à leurs côtés. Il y aurait eu un président arabe et un vice-président européen, des postes ministériels étant réservés aux Européens. Mais nous avions une exigence : que les frontières du Maroc et de la Tunisie soient fermées afin que les armées de l'ALN y stationnant ne pénètrent pas en Algérie, car, dans ce cas, il n'y avait pas d'élections démocratiques possibles. Mais tout cela a finalement été refusé par l'aile dure du FLN, qui a même accusé ses négociateurs de traîtrise.

Pourquoi une tentative d'entente si tardive ?

Parce que avant nous espérions en un sursaut salvateur de l'armée française qui ne s'est pas produit.

Et après la répression du Constantinois en 1945, n'était-il pas possible de faire quelque chose ?

Nous avons raté de multiples occasions, notamment à partir de 1945. En 1954, quand la guerre a éclaté, j'étais un gaulliste fervent. Et je pensais que si, dans l'avenir, il n'y avait pas égalité totale entre musulmans et Européens, il valait mieux, pour nous, quitter l'Algérie. Mais l'immense majorité des Français ne désirait pas cela. Un jour, je déjeune avec un ami député et il me dit : « Mais qui donc voudra 200 députés algériens à l'Assemblée nationale ? » Les seuls à peut-être pouvoir envisager cette perspective étaient les Européens d'Algérie, mais ils ont mis bien longtemps et il était bien trop tard. Les choses étaient allées trop loin. En réalité, la communauté française était très hétérogène, séparée par ses dissensions politiques mais aussi ses origines. Elle n'a commencé à exister qu'avec la guerre d'Algérie. Avant, on disait « un Espagnol » ou « un Maltais ». Tous restaient attachés à leur patrie d'origine. C'est la guerre qui les a soudés.

Quelle politique aurait dû alors suivre le général de Gaulle en 1958, quand il prend le pouvoir ?

Je pense que les Européens auraient été prêts à accorder l'égalité, mais à une seule condition ; que l'État français s'engage fermement dans cette voie. Mais il aurait fallu une révolution. Or DeGaulle ne voulait plus de l'Algérie. Sa seule volonté politique, c'était « le dégagement ». Il considérait que l'Algérie était un boulet pour une France qu'il voulait à la fois l'égale des grandes nations et la maîtresse des pays du tiers-monde. Et puis, allait-on en finir avec cette armée ? Il voulait une armée moderne, technique, mais pas celle-là, qui était d'un autre temps.

Pourquoi les Européens ont-ils été incapables d'avoir une représentation politique ?

Ils étaient complètement dépolitisés. La valeur fondamentale de ces hommes, qui étaient des pionniers à l'origine, c'était le travail. La politique était une fantaisie, ou alors elle était réservée à ceux qui voulaient faire parler d'eux. Seuls les grands colons faisaient de la politique, mais à titre personnel et sans aucune vision d'avenir.

Pourquoi avoir persisté, après la fin de la guerre d'Algérie, à vouloir assassiner DeGaulle ?

Parce qu'il était responsable des multiples massacres qui se sont produits en Algérie après notre départ, de tous ces gens égorgés comme des lapins, mais aussi de l'exode de un million de nos compatriotes dans des conditions terribles.

Avez-vous des regrets ?

Aucun.

Quelle impression cela fait-il d'être condamné à mort deux fois ?

Rien. Pas plus que dix fois.



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